Chapitre XXI
Le petit prince, le renard
Le renard Bonjour. Le petit prince Bonjour. Le renard Je suis là… sous le pommier… Le petit prince Qui es-tu ? Tu es bien joli… Le renard Je suis un renard. Le petit prince Viens jouer avec moi. Je suis tellement triste… Le renard Je ne peux pas jouer avec toi. Je ne suis pas apprivoisé. Le petit prince Ah ! pardon… Qu'est-ce que signifie " apprivoiser " ? Le renard Tu n'es pas d'ici, que cherches-tu ? Le petit prince Je cherche les hommes. Qu'est-ce que signifie " apprivoiser " ? Le renard Les hommes, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ? Le petit prince Non ! Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie " apprivoiser " ? Le renard C'est une chose trop oubliée. Ça signifie " créer des liens "… Le petit prince Créer des liens ? Le renard Bien sûr. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi q'un renard semblable à cent mille renards. Mais si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde… Le petit prince Je commence à comprendre. Il y a une fleur… Je crois qu'elle m'a apprivoisé… Le renard C'est possible. On voit sur la Terre toutes sortes de choses… Le petit prince Oh ! ce n'est pas sur la Terre. Le renard Sur une autre planète ? Le petit prince Oui. Le renard Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ? Le petit prince Non. Le renard Ça c'est intéressant ! Et des poules ? Le petit prince Non. Le renard Rien n'est parfait. Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé… S'il te plaît… apprivoise-moi ! Le petit prince Je veux bien mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître. Le renard On ne connaît que les choses que l'on apprivoise. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! Le petit prince Que faut-il faire ? Le renard Il faut être très patient. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est la source de malentendus. Mais chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près… (Le lendemain.) Le renard Il eût mieux valu revenir à la même heure. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai à quelle heure m'habiller le cœur… Il faut des rites. Le petit prince Qu'est-ce qu'un rite ? Le renard C'est aussi quelque chose de trop oublié. C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est un jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances. (L'heure du départ approche...) Le renard Ah !... Je pleurerai. Le petit prince C'est ta faute, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise… Le renard Bien sûr. Le petit prince Mais tu vas pleurer ! Le renard Bien sûr. Le petit prince Alors tu n'y gagnes rien ! Le renard J'y gagne à cause de la couleur du blé. Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret. Le petit prince, les roses
Changement de décors : Dans le jardin des roses Le petit prince Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore. Personne ne vous a apprivoisées et vous n'avez apprivoisé personne. Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille autres. Mais j'en ai fait mon ami et il est maintenant unique au monde. Vous êtes belles, mais vous êtes vides. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble. Mais à elle seule, elle est plus importante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosée. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelques fois se taire. Puisque c'est ma rose. Le petit prince, le renard
Le petit prince Adieu. Le renard Adieu. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. Le petit prince L'essentiel est invisible pour les yeux. Le renard C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. Le petit prince C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose… Le renard Les hommes ont oublié cette vérité. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose… Le petit prince Je suis responsable de ma rose… Adapté par les
élèves de CM1 de l'école d'Ispoure
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